La perception populaire des langues autochtones
gant Yann-Vadezour ar RouzLes diverses aires linguistiques du pays donnent un aperçu différent des multiples tensions tournant autour des questions linguistiques. Ces tensions sont souvent révélatrices de perceptions négatives solidement ancrées à l’encontre des langues autochtones. Et il s’agit là de réalités qu’il convient de prendre en compte pour élaborer une politique de promotion de ces langues qui puisse se révéler à la fois efficace et durable.
Dans l’espace occitan, les tensions linguistiques peuvent avoir trait, à des degrés divers selon les aires géographiques, au nom de la langue, au rapport au standard, au rivalités entre graphies, etc. De nombreux locuteurs d’occitan se targuent notamment de parler le « patois ». L’étymologie et l’histoire de ce mot1 montrent pourtant bien combien il était, à l’origine, dévalorisant, et il le reste d’ailleurs généralement en français standard.
La revendication de ce nom par certains locuteurs d’occitan provient vraisemblablement, au moins initialement, d’une volonté d’inverser le stigmate. Mais cette appropriation reste cependant un obstacle pour appréhender la langue dans son entièreté, sa diversité et sa potentialité, avec les effets pervers qui en résultent dans le domaine de la communication et dans celui de l’épanouissement culturel, les enjeux étant, en particulier, l’accès à la littérature et l’ouverture à l’autre, sans compter que l’usage revalorisé du terme « patois » par une partie de la population se heurte nécessairement à la perception négative qu’en a une autre.
Ce qui est vrai pour l’occitan l’est d’autant plus pour les langues d’oïl, dont la proximité plus forte avec le français renforce le sentiment qu’il ne s’agirait pas de véritables langues. En Haute-Bretagne, le gallo est, par certains, appelé par son nom, et, par d’autres, par le mot « patois » avec des différences notables selon les aires géographiques, ainsi qu’il a été noté par Alexandrine Mignerot et Philippe Blanchet dans un rapport de 2017 pour le Conseil régional de Bretagne2 et dans un article paru au début de l’année suivante3.
Mais, sans surprise, les variétés linguistiques plus fortement apparentées au français et moins excentrées que le gallo dans l’espace d’oïl – ce qui, du fait du continuum linguistique existant sur cet espace, va de pair – ne sont pas mieux loties. Leurs locuteurs semblent même aller jusqu’à leur refuser l’appellation de patois, comme le montrent les propos de deux locuteurs de berrichon concernés par la sauvegarde de leur patrimoine linguisitique4.
- Locuteur A : « Oui, alors c’est pas vraiment une langue, c’est même pas vraiment reconnu comme un patois, c’est vraiment ce qu’on appelle une parlure, c’est-à-dire c’est un français déformé […], c’est une version assez déformée du français, qui nous rapproche un petit peu aussi, par moment, du québécois. […] Et nous, ici, en Berry, on le déforme quand même beaucoup ! »4(a)
- Locuteur B : « Alors, c’est pas vraiment un patois, mais ce serait en fait plutôt du vieux français déformé. »4(b)
Pour les autres aires linguistiques, les représentations des personnes n’ayant jamais été en contact avec la langue ne sont guère plus éclairées. Il m’a été rapporté récemment la réaction d’une personne ayant regardé, probablement pour la première fois, une émission hebdomadaire en langue bretonne : « En fait, c’est vraiment une langue. On ne comprend rien ! » Cet exemple montre qu’il existe une représentation populaire hiérarchique des langues au sein de laquelle le français est, en tant que point de référence absolu, situé au sommet. De plus, il tend à confirmer que le critère d’intercompréhensibilité avec le français semble déterminant dans la distinction populaire qui est faite entre langue, patois et français déformé. Enfin, il suggère qu’une partie de la population considère par défaut que les variétés linguistiques autochtones ne sont pas de véritables langues.
C’est dire l’état de la situation et comme les initiatives pour y remédier sont nécessaires. Actuellement, c’est surtout le milieu associatif qui les porte et effectue, tant bien que mal, et avec un manque criant de moyens humains et financiers, un difficile travail de sensibilisation, mais avec un impact très limité.
Il existe cependant une mesure qui permettrait d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux. Elle consisterait à inclure des cours de sociolinguistique dans le cursus scolaire normal, comme d’autres pays le font, par ailleurs. Et il s’agit très certainement du seul moyen réellement efficace pour toucher l’ensemble de la population, et changer ainsi durablement le regard porté sur les langues autochtones, aussi bien par les locuteurs eux-mêmes que par le reste de la population. C’est donc une étape indispensable pour donner enfin une réelle substance à la participation de l’État à la promotion des langues autochtones prévue par la loi, à l’article L1 du Code du patrimoine : « L’État et les collectivités territoriales concourent […] à la promotion de ces langues. »5